La cybernétique en débat
Nouvelles 25 mars 2021

La cybernétique en débat

Les livres d’Écosociété stimulent des discussions ! Deux auteurs de notre maison d’édition ont entamé une correspondance pour échanger leurs vues respectives sur la cybernétique. C’est Philippe de Grosbois, auteur du livre Les batailles d’Internet. Assauts et résistances à l’ère du capitalisme numérique (2018), qui a lu le livre de Pierre Henrichon, Big Data. Faut-il avoir peur de son nombre ? (2020) et qui souhaitait obtenir des précisions. Voici ce qu’ils avaient à se dire.

Bonjour monsieur Henrichon,

J’ai lu avec grand intérêt votre essai Big Data : Faut-il avoir peur de son nombre ? À l’aide d’une solide documentation, vous nous aidez à approfondir notre compréhension des rouages, intérêts et objectifs de cette industrie des données massives. En ce sens, j’ai particulièrement apprécié les passages où vous rendez compte des origines du Big Data (notamment du côté de l’industrie publicitaire), mettez en lumière les effets délétères des mesures quantitatives de productivité en milieu de travail et montrez de quelle manière des rapports de pouvoir s’inscrivent dans la quantification de nos existences, masqués par une apparence de neutralité.

Par contre, je dois avouer que votre cadre d’analyse m’a laissé perplexe. Plus spécifiquement, la manière dont vous articulez un principe de la cybernétique – la libre circulation de l’information – à des monopoles privés d’une ampleur sans précédent soulève chez moi de nombreuses questions.

Laissez-moi tout d’abord résumer la logique de votre thèse sur cette dimension spécifique, en espérant que je ne déformerai pas votre pensée. En posant l’information comme une sorte d’équivalence universelle à l’ensemble des phénomènes naturels, humains et machiniques, la cybernétique nierait la subjectivité humaine et nous amènerait vers une « société sous contrôle permanent » (p. 32). Le principe de la libre circulation de l’information, présenté comme un facteur de progrès, serait en réalité un subterfuge pour accumuler des données de façon débridée. L’approche cybernétique, en ouvrant la porte à la quantification généralisée de nos vies, mène tout droit au phénomène du Big Data, soit à l’accumulation massive de données à notre sujet (navigation sur Internet, interactions sur les médias sociaux, déplacements, achats, etc.), et ce, non seulement à des fins de profit, mais également de contrôle. Vous soutenez enfin que les fondements de la cybernétique font écho au marché sous sa forme néolibérale, tel que théorisé par Friedrich von Hayek, puisque selon ce dernier le marché est un écosystème autorégulé et décentralisé s’appuyant sur le partage d’informations à propos d’une multitude de décisions individuelles. Au final, la circulation cybernétique de l’information apparaît sous votre plume comme la philosophie derrière une forme dangereusement puissante de contrôle dans les sociétés capitalistes contemporaines – une « arme contre la société », comme le dit le sous-titre du livre.

Cette logique argumentative, que vous n’êtes certes pas le seul à défendre, est séduisante par l’élégance avec laquelle elle relie plusieurs phénomènes en un tout cohérent. Or, sa simplicité apparente pose selon moi problème, car elle esquive des contradictions importantes dans le domaine numérique.

I. Tout d’abord, je ne vois pas ce qui relie concrètement le principe de libre circulation de l’information au Big Data. Au contraire, il me semble qu’on ne peut trouver plus forte antithèse à la libre circulation de l’information qu’une telle accumulation de données ! Loin d’être l’enfant de la libre circulation de l’information, le Big Data m’apparaît plutôt comme son ultime opposé. Facebook, par exemple, constitue un monopole d’une ampleur jamais vue dans l’histoire de l’humanité. À elle seule, cette organisation accumule des milliards de profits en centralisant les interactions quotidiennes du quart de la planète, à l’aide d’algorithmes qui filtrent ces interactions dans une opacité presque totale. Où est la libre circulation de l’information dans tout cela ? (Et même, où est le marché dans tout cela?)

II. Peut-être me direz-vous que la libre circulation de l’information n’aura finalement été qu’une « illusion nécessaire », un leurre visant à mettre en place cette accumulation de données. C’est ce que je comprends d’une des rares fois où vous évoquez le paradoxe de ma question précédente. Dans une note de bas de page qui ressemble presque à une boutade, vous mentionnez que les GAFAM s’opposent à la protection des données personnelles en s’appuyant sur cette idée de liberté, mais que « l’information ne circule que dans un sens… vers eux » (p.33).

Et c’est bien vrai ! Mais qu’en est-il, alors, des individus et mouvements qui tentent de mettre en pratique une circulation non marchande de l’information ? Il m’est d’avis que l’idéal de la libre circulation de l’information est actuellement mobilisé de manière beaucoup plus cohérente et honnête par d’autres acteurs que les géants du Net, avec des résultats beaucoup plus intéressants. Pendant que les GAFAM siphonnent et accumulent des milliards de données sur nos existences, des militant.e.s progressistes d’horizons variés expérimentent par la pratique de véritables tentatives de « redistribution » de l’information. Pensons par exemple aux Panama Papers (comme ancien président d’ATTAC-Québec, cela vous a sans doute intéressé!), aux vagues successives de dénonciations d’agressions sexuelles et aux vidéos virales montrant crument la brutalité policière raciste aux États-Unis et ailleurs.

Je sais bien que cela n’est pas l’objet de votre ouvrage et que les Big Data représentent une menace de premier ordre qu’il faut comprendre et combattre de manière urgente. Néanmoins, votre critique m’inspire des questions qui m’apparaissent importantes, telles que celle-ci : en dépeignant le numérique comme étant presque exclusivement un instrument de contrôle capitaliste, comment peut-on ensuite cultiver des solidarités avec certains des mouvements sociaux les plus dynamiques à l’heure actuelle, qui ont recours à la circulation de l’information dans l’espace numérique pour remettre en question de manière percutante des formes anciennes et puissantes de domination ?

III. Au-delà de ces considérations plus stratégiques, ce regard quelque peu tronqué a selon moi des conséquences sur votre propre thèse. En sciant la branche de la libre circulation de l’information de l’arbre de votre argumentaire, vous vous privez de riches analyses d’intellectuel.le.s et de militant.e.s du milieu libriste (promouvant le logiciel libre) et d’hacktiviste (qui cherchent à élargir les libertés citoyennes à l’ère numérique). De nombreux militant.e.s du domaine de l’informatique réfléchissent aux enjeux de la surveillance et du contrôle par le numérique depuis des décennies. Je pense par exemple à l’informaticien Richard Stallman, à l’avocat Eben Moglen, à l’anthropologue Gabriella Coleman (basée à Montréal), à l’écrivain Cory Doctorow, au militant Aaron Swartz…

On ne peut tout lire, bien sûr. Je ne cherche pas à faire un concours de name dropping, ici. Non, l’enjeu est plutôt que votre lecture de la cybernétique et de l’informatique vous prive d’armes intellectuelles pour raffiner et approfondir la lutte contre la dataveillance. Prenons par exemple la proposition que vous faites, selon laquelle les données devraient « être considérées comme des services publics essentiels au même titre que l’électricité » (p. 61). J’en suis ! Mais cela me semble contredire le sombre portrait que vous faites de la circulation de l’information en début d’ouvrage : la socialisation des bases de données signifierait-elle que la cybernétique ne serait plus une « arme contre la société » ? Comment se passe cette transition de menace existentielle à bienfait collectif ? Une fois qu’on a saisi les serveurs des Google de ce monde et inscrit « Nouvelle administration » à l’entrée, qu’est-ce qui change, au juste ? Si, comme vous le dites vous-même – et à juste titre ! -, les données sont d’abord un construit politique, en quoi des données administrées « en commun » seraient-elles bâties, collectées, traitées et distribuées différemment qu’elles ne le sont à l’heure actuelle ? De nombreux intellectuel.le.s et militant.e.s du numérique travaillent sur ces questions depuis longtemps, notamment sur la question centrale de l’ouverture de la boîte noire des algorithmes à des fins de contrôle démocratique. Or, ces contributions se trouvent quasiment invisibilisées dans votre livre. Il m’apparaît pourtant essentiel de développer cette vision d’un autre rapport aux données et à l’information si on souhaite réellement et durablement se débarrasser des GAFAM.

Voilà où j’en suis de mon côté. En espérant que ces questions sauront vous interpeller ! Portez-vous bien et merci pour votre ouvrage,

Philippe

Bonjour monsieur de Grosbois,

J’ai, de mon côté, lu avec beaucoup d’intérêt également votre ouvrage Les batailles d’Internet. Le fait que nos deux essais figurent dans le catalogue des Éditions Écosociété suggère une certaine complémentarité. Je crois même qu’ils entrent en dialogue, comme le manifeste notre présent échange, lequel se révèle d’une actualité encore plus brûlante et reconnue au moment de la diffusion sur Netflix à l’hiver 2021 du documentaire Derrière nos écrans de fumée (The Social Dilemma).

Quelle serait la nature de ce dialogue ? Tous deux, nous sommes préoccupés par cette économie au sein de laquelle l’information – les données – s’impose comme le plus important des biens marchands, permettant ainsi à ceux qui contrôlent les innombrables flux d’information de dominer le marché et, par voie de conséquence, des pans entiers de l’économie. Tous deux, nous nous insurgeons contre la mainmise oligopolistique sur la circulation de l’information par le truchement de plateformes et d’applications. D’une voix commune, nous dénonçons l’opacité, drapée de droits de propriété intellectuelle, des programmes et algorithmes qui pilotent l’extraction privatisée des informations que nous estimons être de propriété sociale. Tous deux, enfin, appelons à changer radicalement nos manières de faire, nos manières de voir et les encadrements institutionnels requis pour « libérer » l’information thésaurisée par des monopoles technofinanciers protagonistes de modèles d’affaires mortifères pour nos sociétés, nos cultures et nos démocraties.

Mais notre complémentarité, qui révèle de nombreuses convergences, n’est pas – cela est inévitable et même souhaitable – uniformité. Alors que votre principal champ de bataille est l’Internet, mon terrain de lutte s’articule autour de la quantification « néolibéralisée » de nos existences et de ses effets sur nos manières d’être dans le monde, sur nos façons d’être parmi les humains et sur notre capacité d’agir sur notre devenir. Il va de soi que nous avons des ennemis communs, mais cet ensemble n’épuise pas la liste des combattants mobilisés. Par contre, et j’y reviendrai plus loin, mon ouvrage aurait, de votre avis, ignoré de potentiels alliés dont vous décrivez les tactiques et l’arsenal aussi divers qu’efficaces et prometteurs.

Pour répondre le mieux possible à vos remarques, que je trouve pertinentes, je vais me permettre de résumer les intentions sous-jacentes à mon ouvrage (cela sera utile pour les lecteurs de cette correspondance qui n’ont pas lu mon essai). J’ai voulu vulgariser ce qui me semblait être des convergences dangereuses. J’ai cherché à comprendre comment des théories – cybernétique, économique, politique, management – et des complexes sociotechniques – informatique, Internet, Big Data, automatisation, robotisation, étalonnage concurrentiel (benchmarking) – ont été mobilisés dans et par des boucles de rétroaction pour alimenter les forces qui façonnent notre avenir à la manière de turbobulldozers. J’ai isolé certains éléments théoriques et idéologiques qui me semblaient permettre une compréhension plus claire des origines de notre « économie de la donnée ». En premier lieu, la cybernétique, en raison de son insistance sur la commune ontologie informationnelle des humains, des animaux et des machines, m’est apparue comme annonciatrice du contrôle des comportements et de l’Internet des objets. S’y ajoute, ensuite, la théorie libérale de la nature humaine qui nous réduit à des êtres de calcul de l’utilité de soi, des autres et des choses comme sources ou de plaisir ou de peine. Le calcul de l’utilité passe par le marché qui fait circuler cette information sous la forme du prix. Selon le libéralisme classique, reformulé par Hayeck, les actions individuelles sont la source spontanée et involontaire de nos institutions et du bien commun. Le marché, institution fondamentale de notre société selon la pensée néolibérale, s’avère donc un immense moteur informationnel, rejoignant ainsi les thèses de la cybernétique. Le prix est alors pensé comme une information faisant partie d’une longue chaîne de rétroactions informant et influençant les acteurs économiques et sociaux. Enfin, troisième élément, la quantification (ou commensuration). En effet, si l’information est quantifiable et que le prix représente la quantification aboutie et la plus juste des activités humaines[1], il conviendrait de les inscrire toutes dans le marché de manière à ce qu’elles soient informées de leur valeur par leur prix. L’école de la « nouvelle gestion publique », qui préconise que le secteur public soit géré comme l’entreprise privée, transformant ainsi les citoyens en clients, peut ainsi s’imposer. La convergence de ces trois éléments sera favorisée et accélérée par la montée en puissance de l’informatique et de l’Internet.

Ces convergences ont propulsé les modèles d’affaires définis par Google, Facebook et autres qui cannibalisent les informations engendrées par l’utilisation de leurs services dans le but de les monnayer contre des publicités de plus en plus ciblées. Ces données massives ont constitué les denrées dont les algorithmes avaient besoin pour se raffiner et définir des prévisions et des rétroactions toujours plus efficaces. La personnalisation de ces prédictions et rétroactions pavent la voie vers une « dissociété ». Cette personnalisation, couplée à l’individualisme prôné par les traditions libérales contribuent à l’indifférence, voire au mépris que l’on constate à l’égard des nécessaires et souhaitables mutualisations que permettent les grands ensembles sociaux.

Cela m’a permis ensuite de faire le lien entre cette nouvelle économie de la donnée et la poussée vers l’automatisation et la robotisation dans sa version Industrie 4.0, avec tout ce que cela implique en termes de pertes d’emplois et de précarisation, précarisation exacerbée par des plateformes de type Uber ou de cybertravail comme Mechanical Turk. Cela éclaire également comment la théorie managériale a mis et continue de mettre en place des régimes de travail qui privilégient la responsabilité et le rendement individuels. L’impérialisme de l’évaluation purement quantitative des résultats du travail rend difficiles, sinon impossibles, les solidarités tout en mettant tous en concurrence avec tous. Les rythmes de travail deviennent plus infernaux, le stress s’accentue, la santé mentale se détériore. 

Précarité, maladie, isolement, détérioration des services publics, monopolisation accrue des marchés toujours plus envahissants, marchandisation de tous les aspects de notre existence à la faveur d’une dataveillance davantage intrusive… Voilà en bref ce que j’ai tenté de montrer. Voilà le contexte dans lequel il convient maintenant de situer vos remarques.

Vous me reprochez d’articuler « un principe de la cybernétique – la libre circulation de l’information – à des monopoles privés d’une ampleur sans précédent ». Voir dans la libre circulation de l’information un cheval de Troie – pensé par la cybernétique – qui aurait permis une monopolisation de l’utilisation privatisée de cette information est une vue de l’esprit qui m’est complètement étrangère. La libre circulation de l’information, dont la nécessité est constatée par les premiers penseurs de la cybernétique, est une conquête historique de la plus grande importance[2]. Mais à l’instar de l’Internet – comme vous l’écrivez dans votre essai –, il s’agit d’une construction sociale, définie par des humains et leurs institutions, et mobilisée par des intérêts. La revendication cybernétique a pour fondement – ce qui ne contredit nullement les sentiments humanistes de l’individu Norbert Wiener – une perspective de lutte contre le désordre, le désir d’assurer la stabilité d’un système, quel qu’il soit. Sur le plan social et politique, on comprendra que pour nombre de cybernéticiens de la première heure, désordre rime avec totalitarisme, fascisme et nazisme. Mais cette quête d’ordre et une vision téléologique de la société allaient amener certains à concevoir qu’« une société globale, un État, puissent se trouver régulés de telle sorte qu’ils soient protégés contre tous les accidents du devenir : tels qu’en eux-mêmes l’éternité les change. C’est l’idéal d’une société stable traduit par des mécanismes sociaux objectivement contrôlables[3] ». Ce sont ces dérives de la pensée cybernétique qui permettent d’établir un lien entre notre compréhension des êtres humains comme entités informationnelles complexes, la collecte intrusive d’informations – la dataveillance – et les velléités de contrôle comportemental. 

Vous dites « je ne vois pas ce qui relie concrètement le principe de libre circulation de l’information au Big Data », lien que je pose dans mon livre. En fait, ce sont entre autres les créateurs des réseaux comme Facebook qui établissent ce lien. Ils ont prôné la mise en réseau de tous les humains comme étant le moyen idéal par lequel assurer une communication libre, directe et démocratique. Qu’ils aient détourné cette liberté, cela est clair. Le Big Data dont ils sont les détenteurs aurait eu du mal à se développer sans cette liberté d’une circulation réticulaire de l’information. Par définition, le Big Data est une appropriation de ces informations. Et, pour répondre à votre double question « Où est la libre circulation de l’information dans tout cela ? (Et même, où est le marché dans tout cela?) », le marché se trouve dans le Big Data, dans les algorithmes qui en dégagent les corrélations et prédictions dont les marchandiseurs de toutes sortes sont friands. Ce sont ces corrélations et ces prédictions qui ont de la valeur, qui ont un prix. Le marché se situe donc dans la concurrence qui se joue autour de l’étendue de l’effet de réseau des plateformes, effet de réseau requis pour recueillir le maximum d’informations du maximum d’utilisateurs. Cette concurrence se poursuit ensuite autour de l’efficacité du traitement algorithmique de ces données. En fait, ces deux lieux de concurrence sont liés : pas d’efficacité algorithmique supérieure sans effet de réseau quasi dominant et pas d’effet de réseau exponentiel sans algorithmes super efficaces. Bien sûr, cette concurrence se joue entre un nombre très réduit d’acteurs, d’autant plus que les gros poissons bouffent les petits qui oseraient s’aventurer dans le bocal. Cette concurrence liée au Big Data (il faudrait peut-être parler de marché fermé et verrouillé, car la concurrence est devenue une fiction) que j’évoque (page 118) s’étend à toutes les sphères de nos activités et comportements.

Ces géants doivent donc diversifier et étendre leurs champs d’intervention dans les nouvelles chaînes de valeur qui se mettent en place à la faveur de la datafication et de la mise en réseau. Voilà pourquoi, par exemple, les industriels allemands, et tout particulièrement les constructeurs automobiles, craignent non seulement l’incursion de ces nouveaux joueurs dans la production industrielle, comme dans le cas de Google et de sa voiture autonome, mais aussi, et surtout peut-être, les capacités de captation, de stockage et de traitement des données des Google et Amazon de ce monde. « Il n’y a pas de congrès Industrie 4.0 sans mention de cette menace Google”, d’un système de captation d’une partie des marges opérationnelles susceptible d’émerger[4]. »

Ainsi, cette libre circulation de l’information, nécessaire et vitale pour que le politique puisse s’affranchir, a été intégrée dans la rhétorique des usurpateurs de l’Internet, ceux-là mêmes que vous dénoncez et combattez dans votre ouvrage. Vous avez bien raison de brandir cette liberté informationnelle à la fois comme bannière et comme arme contre eux.

Cela nous amène à une autre critique que vous formulez à l’égard de mes propos : en dépeignant le numérique comme étant presque exclusivement un instrument de contrôle capitaliste, comment peut-on ensuite cultiver des solidarités avec certains des mouvements sociaux les plus dynamiques à l’heure actuelle, qui ont recours à la circulation de l’information dans l’espace numérique pour remettre en question de manière percutante des formes anciennes et puissantes de domination ?

Notons d’entrée de jeu, puisque ce sont les forces du marché qui dominent au sein de nos sociétés, qu’il n’est guère étonnant que tous les instruments possibles soient mobilisés en vue de consolider cette domination. Cela dit, comme je le répète dans mon livre, des luttes se mènent inlassablement contre cette quantification. Ainsi peut-on lire à la page 108 : « Appuyons-nous sur les réflexions et projets de regroupements, tels que Radical Statistics Group en Angleterre et les statactivistes en France, pour que la quantification soit un instrument de mise au jour des réalités qui sont les nôtres et non seulement ou principalement celles des instances dirigeantes, qu’elles soient politiques, économiques, financières ou managériales. »

De plus, quand je compare l’appareil statistique public déployé pendant les années de politiques keynésiennes – et ce, dans des sociétés capitalistes, voire impérialistes – à celui des présents régimes néolibéraux, on voit bien que la quantification ou numérisation peut être mise au service des classes populaires. Je vois donc mal comment le point de vue présenté dans mon ouvrage serait un obstacle aux solidarités que vous appelez de vos vœux. 

En dernier lieu, vous mettez en doute tant la justesse que la portée d’une revendication importante, voire centrale, dans mon ouvrage qui a trait à la reconnaissance de la propriété collective des données recueillies par les Google, Facebook et autres. Vous écrivez : « Prenons par exemple la proposition que vous faites, selon laquelle les données devraient être considérées comme des services publics essentiels au même titre que l’électricité” (p. 61). J’en suis ! Mais cela me semble contredire le sombre portrait que vous faites de la circulation de l’information en début d’ouvrage : la socialisation des bases de données signifierait-elle que la cybernétique ne serait plus alors une arme contre la société”? Comment se passe cette transition de menace existentielle à bienfait collectif ? Une fois qu’on a saisi les serveurs des Google de ce monde et inscrit Nouvelle administration” à l’entrée, qu’est-ce qui change au juste ? »

Ou bien je me suis mal expliqué ou bien il y a malentendu. J’ai pourtant insisté dans mon livre pour dire que les données recueillies n’ont de valeur que lorsqu’elles sont « centralisées », traitées et mises en corrélation. À l’heure actuelle, cette valeur est principalement monétisée pour servir les intérêts des publicitaires, de agences de marketing, des institutions financières, des compagnies d’assurance et autres acteurs privés. La socialisation de ces données permettrait d’exercer un contrôle public sur la nature et la finalité des traitements algorithmiques de ces mêmes données. Ainsi, des audits sur les algorithmes seraient requis avant d’accorder l’accès aux données. De plus, des règles pourraient être édictées tant sur la nature des informations recueillies que sur les modalités de leur collecte. Nous pourrions ainsi non seulement limiter la dataveillance, mais également la rendre socialement utile en toute transparence. Quant au modèle cybernétique, et nous pourrons aussi raffiner notre analyse sur cet aspect, je crois qu’il pourrait nous aider, sur certains plans, à mieux penser la complexité des corrélations mises au jour par les divers traitements algorithmiques possibles. L’espace me manque ici, mais je serais plus qu’heureux de creuser davantage la question avec vous.

J’ai voulu montrer, maladroitement peut-être et avec de nombreux angles morts, comment nous avons été conditionnés au fil des siècles à accepter des idées, des manières de voir qui ont conduit à la dissociété telle que nous la vivons aujourd’hui et en quoi les modèles d’affaires dominants ont surfé sur ces théories qu’on nous brandit comme étant des « évidences ».

Je reconnais, comme vous le soulignez, avoir passé sous silence le travail des militants hacktivistes, libristes et autres qui prennent à bras le corps le combat pour une libération de l’Internet et du WWW. Je n’ai pas su voir comment ces activistes peuvent attaquer le modèle d’affaires des GAFAM et autres plateformes. Je crois en effet qu’il n’y a pas de petites luttes versus de grandes luttes, ni de réformes versus des bouleversements radicaux : dès que cela modifie les rapports de force en faveur de l’émancipation du plus grand nombre, cela est précieux et mérite notre appui, tant sur plan de la théorie que sur celui du politique.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion et de préciser ma pensée et de l’avoir élargie.

Espérant pouvoir poursuivre cet échange,

Pierre


Bonjour monsieur Henrichon,

J’ai été ravi de lire votre réponse et je vous remercie d’avoir pris le temps de me fournir toutes ces explications. Vous avez bien raison de souligner la complémentarité de nos ouvrages ainsi que les points de convergence dans nos réflexions et dans les préoccupations qui les sous-tendent. Vous relevez aussi avec justesse que nos objets de réflexion ne sont pas exactement les mêmes : de mon côté, il s’agit d’Internet, du vôtre, de la « quantification néolibéralisée de nos existences ». Enfin, je vous remercie d’avoir précisé votre pensée sur la propriété collective des données, mais je spécifie au passage que je ne remettais pas en cause la justesse et la portée de cette revendication (même si je persiste à croire que l’analyse libriste et hacktiviste vous aurait permis de l’approfondir). Votre texte répond donc à plusieurs des préoccupations qui structuraient ma première lettre.

Sans revenir sur chacun des aspects de votre réponse, j’aimerais néanmoins relever quelques éléments qui, de mon point de vue, demeurent nébuleux, voire contradictoires. Je demeure perplexe sur la relation que nous établissez entre cybernétique, marché et liberté.

Dans votre lettre, vous dites que dans le libéralisme reformulé par Hayek, le marché « s’avère donc un immense moteur informationnel, rejoignant ainsi les thèses de la cybernétique ». Encore une fois, il s’agit d’une idée populaire chez plusieurs critiques de gauche du capitalisme numérique, y compris au Québec, mais elle m’apparaît réductrice. Norbert Wiener lui-même, dans ses propres écrits, émet de sérieuses réserves à propos de cette filiation possible entre cybernétique et marché. Dans Cybernétique et société, livre auquel vous référez également, Wiener constate que « le sort de l’information dans le monde typiquement américain est de devenir quelque chose qu’on peut vendre ou acheter » et il soutient que « cette attitude mercantile […] conduit à l’incompréhension et au maltraitement de l’information »[5]. Plus loin, il déplore que « les limitations propres au caractère marchand de l’information ne sont pas comprises d’une grande partie du public » et se désole que « l’homme de la rue » soit « incapable de concevoir une information sans propriétaire »[6]. Dans ces passages, l’un des principaux fondateurs de la cybernétique s’inscrit donc en rupture avec la marchandisation de l’information et semble même prêt à envisager cette dernière comme un « commun », au sens de Pierre Dardot et Christian Laval dans le livre éponyme. Par conséquent, la « lutte contre le désordre » et le « désir d’assurer la stabilité d’un système » que vous associez à la cybernétique s’obtiendraient par la libre circulation de l’information, et non par son appropriation néolibérale.

Je précise au passage que je suis loin d’être spécialiste en matière de cybernétique, et je n’aspire pas ici à « défendre » cette dernière, qui est beaucoup trop fonctionnaliste pour moi. Mais je crois qu’il faut approcher la cybernétique dans toutes ses contradictions si on souhaite bien saisir les problèmes que nous vivons aujourd’hui. Aussi, mon objectif n’est pas de faire de l’exégèse ; si je soulève ces considérations, c’est parce qu’elles ont des implications concrètes. Vous dites dans votre réponse que ce sont « les créateurs des réseaux comme Facebook qui établissent [le] lien » entre le principe de libre circulation de l’information et le Big Data. Il est vrai que les GAFA s’appuient sur un discours à saveur libertaire, mais leurs pratiques réelles sont tout autres. Il m’apparaît essentiel de déconstruire ce lien frauduleux, et je crains que votre analyse ne dissipe pas suffisamment cette confusion et risque même de l’entretenir. Vous écrivez par exemple que « le Big Data dont ils sont les détenteurs aurait eu du mal à se développer sans cette liberté d’une circulation réticulaire de l’information. Par définition, le Big Data est une appropriation de ces informations. » En matière d’information, l’appropriation n’est-elle pas le contraire de la liberté ? Nous nous faisons piller nos existences quotidiennement, comme vous l’analysez très bien vous-même. C’est pourquoi à mon sens le néolibéralisme et les GAFA ne s’appuient pas sur la libre circulation de l’information, ils l’anéantissent.

De la même manière, lorsque je vous demande « où se trouve le marché » dans une telle concentration de données, vous me répondez que « le marché se trouve dans le Big Data ». Mais le Big Data n’implique-t-il pas la concentration des données, la constitution de monopoles et donc la disparition du marché ? Vous dites que « le marché se situe dans la concurrence » avant de préciser plus loin qu’« il faudrait peut-être parler de marché fermé et verrouillé, car la concurrence est devenue une fiction ». Il me semble que ma question (« où se trouve le marché dans tout cela ? ») se pose toujours…

Je réitère que ce n’est pas pour des raisons purement théoriques que je vous soumets ces objections, mais parce que je me soucie de préserver un maximum d’armes intellectuelles pour la gauche progressiste. Vous écrivez « Je vois mal comment le point de vue présenté dans mon ouvrage serait un obstacle aux solidarités que vous appelez de vos vœux ». C’est qu’il m’apparaît dangereux d’associer le vocable de la liberté à des entreprises aussi liberticides, notamment parce qu’on risque de banaliser le travail de mouvements alliés qui cherchent à défendre cette liberté de manière authentique. En d’autres termes, dans la mesure où votre livre articule de manière assez serrée la liberté individuelle et la cybernétique avec le marché capitaliste (en particulier dans vos deux premiers chapitres), cela réduit considérablement l’espace pour défendre authentiquement la libre circulation de l’information et la liberté individuelle plus généralement, comme le font plusieurs militant.e.s anticapitalistes dans le champ numérique, entre autres.

Sur une note plus positive toutefois, vous terminez en disant que dans la mesure où la lutte des militant.e.s hactivistes et libristes « modifie les rapports de force en faveur de l’émancipation du plus grand nombre, cela est précieux et mérite notre appui ». À cela je ne peux que répondre : à la bonne heure ! Je crois que votre critique du Big Data est nécessaire, c’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai décidé de vous écrire.

De nouveau, je tiens à vous remercier de cette contribution, que ce soit par votre ouvrage ou par cet échange stimulant.

Philippe


Bonjour Philippe,

Encore une fois, je vous remercie pour le temps et l’intelligence que vous mobilisez pour questionner les affirmations faites dans mon essai et pour l’occasion que cela me donne soit de préciser ma pensée, soit de l’infléchir.

Alors, allons droit au but. Vous écrivez : « Dans votre réponse, vous dites que dans le libéralisme reformulé par Hayek, le marché s’avère donc un immense moteur informationnel, rejoignant ainsi les thèses de la cybernétique”. Encore une fois, il s’agit d’une idée populaire chez plusieurs critiques de gauche du capitalisme numérique, y compris au Québec, mais elle m’apparaît réductrice. » On le voit, la notion d’information est ici centrale, tant pour la pensée cybernétique que pour la pensée économique néolibérale. Si j’ai abordé la question de la cybernétique, c’était pour tenter de faire une petite histoire des idées qui ont façonné nos manières de voir le monde et d’expliquer comment on en est arrivé à considérer comme normal le fait de vivre dans une société où tout est quantifié. Comme le dit l’historien des sciences Jérôme Segal :

En effet, après les travaux théoriques et techniques de Harold Black et Hendrick Bode, publiés respectivement en 1934 et 1945, une théorie unifiée de la commande et de la régulation commence à voir le jour, trouvant son expression formalisée dans l’éclosion de la cybernétique. […] Ce n’est qu’après l’apparition de ce type de synthèse que les boucles de rétroaction seront caractérisées par la transmission d’information qu’elles permettent[7]. […] C’est en somme ce rapprochement formel entre la mécanique quantique et la thermodynamique qui permet ici à von Neumann d’arriver à une nouvelle expression aux interprétations à la fois mathématiques et physiques. Partant de théorèmes mathématiques assez ardus sur les propriétés que doivent vérifier les opérateurs, il parvient à une théorie générale de la mesure et nombreux seront les physiciens qui verront ici, à juste titre, une analyse physique et quantitative de la notion d’information[8].

Cette citation résume bien mon intérêt pour la cybernétique, puisqu’elle consiste en la rencontre de l’information, de la quantification et du contrôle. Le rôle central joué par l’information dans la pensée cybernétique rejoint le point de vue de Hayek selon lequel le marché est une institution informationnelle, fondé sur l’échange[9], dont le produit – quantitatif – le plus précieux est le prix. Le prix, que l’on peut considérer comme le résultat d’une série de boucles de rétroaction, est alors vu comme le principal paramètre décisionnel – et donc, de modification du comportement – des acteurs économiques censés toujours agir rationnellement. Et puisqu’il est assumé, dans la pensée libérale classique, que nous agissons toujours de manière rationnelle en matière économique[10], il convient de pouvoir être toujours informé par le prix. C’est pourquoi le néolibéralisme nous dit que notre société est et doit être une société de marché, de manière à ce que le prix recouvre l’ensemble des activités humaines. Autrement dit, toute entrave à la « découverte du prix » doit être considérée comme antisociale. 

Cela étant dit, même si pour la cybernétique l’information occupe une place centrale, il ne faudrait pas confondre le concept cybernétique d’information avec celui manipulé par les ténors du Big Data et de la quantification tous azimuts. Ainsi, la liberté d’information dont parle Wiener est bien différente de la notion de liberté évoquée par Hayek dont se revendiquent ces ténors. Pour Wiener, l’information ne peut pas être libre si elle est assujettie au marché alors que, selon Hayek, seul le marché peut assurer la liberté de circulation de l’information, puisque c’est là sa fonction principale, sa raison d’être. Nous sommes ici devant deux conceptions diamétralement opposées de la liberté. En ce sens, je vois mal comment le rapprochement entre centralité de l’information (pour la cybernétique) et centralité du prix (information sécrétée par le marché selon la pensée néolibérale) serait réductrice. Cela n’empêche nullement de revendiquer la non-marchandisation de pans importants de l’information qui circule et que nous considérons socialement nécessaires. Cela n’interdit nullement la lutte contre les actuels régimes de propriété intellectuelle et de secret commercial, tout comme cela n’inhibe pas la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles des GAFAM et autres.

Il est à noter que Hayek et l’école néolibérale ont une conception assez « élastique » du marché, car les monopoles (autres que ceux de l’État et des syndicats ouvriers qui corrompraient le marché du travail) ne peuvent menacer le marché comme libre véhicule de la circulation de l’information sédimentée dans les prix. Le marché aurait en effet les moyens de « s’occuper » des monopoles. Comme le fait remarquer Philip Miroswki : « Mais en commençant par le mouvement Droit et économie de l’école de Chicago, puis en s’étendant progressivement au traitement des entrepreneurs et des marchés de l’innovation»”, les néolibéraux ont commencé à affirmer systématiquement que non seulement le monopole n’était pas préjudiciable au fonctionnement du marché, mais qu’il était plutôt un épiphénomène imputable aux activités malavisées de l’État et des groupes d’intérêt. L’affirmation socialiste selon laquelle le capitalisme portait en lui-même les germes de sa propre artériosclérose (sinon de son autodestruction) a été carrément niée. Dès le début des années 1970, les politiques antitrust étaient généralement rejetées en Amérique [11]. »

Dans un tel contexte, vous avez tout à fait raison d’affirmer que « le Big Data n’implique-t-il pas la concentration des données, la constitution de monopoles et donc la disparition du marché ? » La concentration des données, si on en collectivise la propriété, devrait au contraire favoriser la concurrence et l’innovation, que ce soit dans une perspective marchande ou coopérative. Vous écrivez ensuite : « Il semble que la lutte contre le désordre” et le désir d’assurer la stabilité d’un système” que vous associez à la cybernétique s’obtiendraient par la libre circulation de l’information, et non par son appropriation néolibérale. » En théorie, vous avez absolument raison, mais la cybernétique n’est rien si elle n’est pas téléologique : la lutte contre le désordre vise un ordre défini. Mais qui définit cet ordre ? L’ordre et la stabilité[12] du système néolibéral n’ont pas besoin d’une libre circulation de l’information, ils ont surtout besoin d’une détermination quantitative de la valeur des biens, des services et des activités humaines. Le détournement idéologique de la cybernétique par les tenants du libre marché a vite fait d’évacuer la question de la « souhaitabilité » de l’ordre recherché.

Je ne suis pas de ceux qui considèrent que l’on peut réduire la production-circulation de l’information à sa seule dimension marchande, dimension aujourd’hui dominée par un capitalisme prédateur. Et c’est justement parce que je refuse, tout comme vous, cette réduction de l’information à sa seule expression monétisable que je propose la propriété collective des données générées par l’ensemble de nos activités socialisées.

Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que la pensée cybernétique et l’idéologie de la dataveillance reposent toutes deux sur des velléités de modification du comportement. J’ai tout simplement tenter de montrer qu’il existe des convergences dans la manière dont la science et les techniques évoluent et leur appropriation socio-idéologique par des intérêts mercantiles et financiers. Cependant, il convient de reconnaître, comme le montre René Passet, que la « seconde cybernétique » s’avère un moyen puissant pour penser et gérer la complexité, tout particulièrement les liens entre biosphère et activités humaines[13]. Peut-être aurait-il été préférable que je présente l’ensemble des contributions de la cybernétique à la compréhension des organisations et auto-organisations complexes (telles que les activités économiques, par exemple), mais cela m’aurait éloigné de mon propos qui était de remonter aux origines idéologiques de la quantification et de la datafication de notre monde.

J’ignore si ces précisions sont suffisamment claires. Je ne peux qu’espérer qu’elles le soient. Vous convaincre n’est pas ici le but que je poursuis ; j’espère simplement que nos démarches, nos analyses et nos programmes d’action sont pertinents et mobilisateurs. Osons croire que notre présent échange y contribue et qu’il puisse se poursuivre.

Avec mes plus amicales salutations,

Pierre


[1] Presque toute la carrière de Gary Becker (Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, 1992) a été une tentative de démontrer le caractère fondamentalement économique de tout un ensemble de décisions « rationnelles » des acteurs, dont le mariage, la procréation, l’acte criminel , etc.

[2]Pour s’en convaincre : Elizabeth L. Eisenstein, The Printing Press as an Agent of Change, Cambridge , Cambridge University Press, 1980.

[3]Abraham Moles, Cybernétique et scientométrie, <http://​archi​vue​.free​.fr/​A​rchiV…; Ce texte résume clairement les bases théoriques et méthodologiques de la cybernétique et ses applications dans les sciences humaines et sociales. Moles éclaire le lien entre la théorie cybernétique et la théorie des systèmes complexes. Pour une étude plus détaillée, appliquée à la pensée économique, voir : René Passet, Les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire. De l’univers magique au tourbillon créateur, Paris, Les liens qui libèrent, 2010.

[4] Dorothée Kohler et Jean-Daniel Weisz, INDUSTRIE 4.0. Les défis de la transformation numérique du modèle industriel allemand, Paris, La Documentation française, 2016, p. 53.

[5] Norbert Wiener, Cybernétique et société. L’usage humain des êtres humains, Paris, Seuil, 2014, p. 141.

[6] Ibid., p. 147 – 148.

[7] Jérôme Segal, Le zéro et le un. Histoire de la notion d’information au XXe siècle. Volume 1, collection « Sciences et Philosophie, Paris, Éditions Matériologiques, 2011. [C’est moi qui souligne]

[8] Ibid.

[9] Hayek remplace la notion d’économie par celle de catallaxie (relevant de la science des échanges). C’est là un autre débat concernant la pensée de Hayek.

[10] La rationalité des acteurs économiques est une notion qui a été mise à mal, mais cela dépassait le propos de mon essai. D’ailleurs, Hayek se pose comme ennemi du rationalisme. Sur cette question, lire Gilles Dostaler, « Hayek et sa reconstruction du libéralisme », Cahiers de recherche sociologique, no 32, 1999, p. 119 – 141

[11] Texte original : « But starting with the Chicago law and economics movement and then progressively spreading to treatments of entrepreneurs and the markets for innovation”, neoliberals began to argue consistently that not only was monopoly not harmful to the operation of the market, but in any event, it was an epiphenomenon attributable to the misguided activities of the state and interest groups. The socialist contention that capitalism bore within itself the seeds of its own arteriosclerosis (if not self-destruction) was baldly denied. By the 1970s, antitrust policies were generally repudiated in America. » Voir Philip Mirowski, « Defining Neoliberalism » dans The Road from Mont Pèlerin : The Making of the Neoliberal Thought Collective, Cambridge, Harvard University Press, 2009, p. 438 – 439. [c’est moi qui traduis et souligne] Pour comprendre concrètement comment la pensée néolibérale a contrecarré l’application des lois antitrust aux États-Unis, voir Lina M. Khan, « Amazon’s Antitrust Paradox’ », Yale Law Journal, vol. 1262017.

[12] Nous savons que cet ordre est chaos. Cela, je crois, n’est plus à démontrer.

[13] René Passet, Les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire. De l’univers magique au tourbillon créateur, Paris, Les liens qui libèrent, 2010.

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