Pourquoi j’meurs tout l’temps
récit
Pourquoi j’meurs tout l’temps ? se demande Anaïs Airelle qui fuit le carcan sociétal, choisit la rue et se réfugie dans l’errance. C’est pour calmer sa colère, pour domestiquer sa haine que « la petite » écrit, livre son parcours dans la rue, entre Montréal, Vancouver, la campagne française et le reste de l’Europe. Dans ce récit emprunt de poésie, d’indignation mais aussi de lucidité, l’auteure se raconte. Écorchée vive, elle nous dit toute sa révolte face à une société où le conformisme l’oppresse, une « normopathie » qu’elle fustige et qu’elle provoque en choisissant la marginalité.
Écosociété, éditeur qui publie exclusivement des essais, fait un pari audacieux en publiant ce récit d’une très grande qualité littéraire. Mais cette publication va aussi de soi pour l’éditeur. Anaïs Airelle nous parle de l’enjeu social qu’est l’itinérance, certes, mais aussi de quête de sens, de maladie mentale, de suicide et de l’ostracisation des marginaux, sans jamais tomber dans la victimisation. L’errance est, au fond, une quête pour tenter de « vivre autrement ».
Anaïs Airelle est aide-soignante et vit dans une communauté où la toxicomanie fait rage. Lorsqu’elle se réfugie dans la rue et décide de quitter Montréal, sa vie se résume à beaucoup d’alcool, de drogue et d’insomnies, mais surtout à un « mal » qui lui colle à la peau. Elle a « mal à l’absurde, mal aux repères, mal aux humains ».
L’autobus où elle monte la mène vers l’Ouest, vers Vancouver où elle fraternise rapidement avec des punks. L’âpreté de la rue, de la ville, la rattrape : dormir n’importe où, manger quand elle peut, se laver rarement, prendre toutes sortes de drogue pour atténuer tout ça, et s’entraider, malgré tout. Sa rage de liberté grandit. Elle part pour l’Europe et finit par se retrouver à la campagne, dans un village auto-géré où plusieurs ont atterri à force de galère, de rejets, de mal de vivre ou d’originalité dérangeante. Vivre avec des déviants, de tendres fous, des voyageurs la calme. La solidarité et la tolérance qui règnent entre eux lui permettent de vivre, d’apprivoiser sa colère et d’atténuer son chaos intérieur.
Pour le lecteur, ce parcours est déroutant et profondément touchant. Il permet de voir de l’intérieur ce monde de l’itinérance tristement ignoré et trop souvent méprisé. Ce récit est une révolte, une mise à nu, mais aussi un apprentissage.
C’est « un hommage à tous ces gens qui galèrent, des gens riches d’histoires, d’expériences, des gens riches de leur regard sur les humains… Y’a pas un seul universitaire sur Terre qui m’fera oublier que les discours les plus essentiels, j’les ai entendus de la bouche des bums de Montréal, des crackhead de Vancouver, des SDF de Paris et des fous du Grandlarge. Sans glorifier la déglingue, j’veux rendre hommage aux pirates de la civilisation malgré eux, qui en arrachent et qui s’accrochent ou bien finissent par larguer les amarres. »