« Paradis fiscaux : Pierre-Karl Péladeau doit s’expliquer », lettre ouverte d’Alain Deneault
Montréal, le jeudi 19 mars 2015 – Le 10 mars dernier, Pierre-Karl Péladeau révélait sa plateforme électorale dans laquelle il déclarait vouloir lutter contre l’évasion fiscale en suivant les conclusions du rapport de 2014 du Réseau pour la justice fiscale. Chercheur au Réseau pour la justice fiscale et auteur de Paradis fiscaux : la filière canadienne (Écosociété, 2014), Alain Deneault réagit ce matin à ces déclarations dans une lettre ouverte parue dans Le Devoir, Paradis fiscaux : Pierre-Karl Péladeau doit s’expliquer!, invitant Pierre-Karl Péladeau à « aller au bout de son raisonnement » afin qu’il « critique lui-même un système qui lui a tant profité. »
Montréal, le jeudi 19 mars 2015 – Le 10 mars dernier, Pierre-Karl Péladeau révélait sa plateforme électorale dans laquelle il déclarait vouloir lutter contre l’évasion fiscale en suivant les conclusions du rapport de 2014 du Réseau pour la justice fiscale. Chercheur au Réseau pour la justice fiscale et auteur de Paradis fiscaux : la filière canadienne (Écosociété, 2014), Alain Deneault réagit ce matin à ces déclarations dans une lettre ouverte parue dans Le Devoir, Paradis fiscaux : Pierre-Karl Péladeau doit s’expliquer !, invitant Pierre-Karl Péladeau à « aller au bout de son raisonnement » afin qu’il « critique lui-même un système qui lui a tant profité. »
Les récentes déclarations de Pierre-Karl Péladeau soulève en effet de graves et légitimes questions : « Quebecor World a‑t-elle déjà créé une entité appelée « Quebecor World Centro America S. A. » au Panama, soit un paradis fiscal des plus opaques ? Quebecor World a‑t-elle par ailleurs installé les bureaux de sa filiale « Quebecor World S. A. » en Europe au 38 – 40 de la rue Zithe, à Luxembourg ? Auquel cas, a‑t-elle tiré profit des avantages fiscaux que permet dans ce tout petit paradis fiscal la concentration d’actifs que réalise une entreprise sur tout le continent, comme l’explique le film Le prix à payer de Harold Crooks, coécrit par la fiscaliste Brigitte Alepin ? De même, en créant de très nombreuses entités au Delaware, Quebecor World a‑t-elle profité de ce qu’on appelle aux États-Unis le « Delaware Loophole » qui permet aux entreprises actives aux États-Unis de contourner leurs obligations fiscales auprès des quarante-neuf autres États constituant la fédération américaine, avant que Messieurs Péladeau et Brian Mulroney – également de Quebecor – n’en signent l’arrêt de mort en 2008 ? Monsieur Péladeau sait-il que cette « échappatoire du Delaware » est si controversée qu’on en fait cas dans diverses campagnes électorales dans les États concernés, le Maryland qui compte quelque cinq millions de citoyens voyant par exemple plus de deux milliards de dollars par année échapper par ce biais à son traitement fiscal ? Par ailleurs, en créant au Delaware des « Limited Liability Companies » qui ne sont soumises à aucun impôt sur le revenu lorsque les intéressées n’y ont pas d’activité réelle, Quebecor World a‑t-elle pu en faire profiter ses filiales actives par exemple en Europe, pour les amener par cette autre voie à ne pas payer d’impôts ? Enfin, pourquoi Monsieur Péladeau pense-t-il qu’on trouve à la Barbade une filiale de « Québecor Média » ? Pour distribuer à Bridgetown Le journal de Montréal ou pour y élaborer des stratégies d’évitement fiscal comme toutes les entreprises canadiennes qui y ont placé à ce jour près de 60 milliards de dollars selon Statistique Canada ? », s’interroge le chercheur et essayiste Alain Deneault.
« M. Péladeau ne peut se revendiquer, d’une part, de son passé d’administrateur pour asseoir sa crédibilité et refuser, d’autre part, de répondre à toute question à son propos. » souligne M. Deneault. Car si la prise de conscience publique et le mouvement de contestation des paradis fiscaux qui s’annoncent doivent inclure le plus grand nombre, il y a effectivement lieu de s’étonner de ce double-discours, « tout comme on écarquillerait les yeux si le PDG de Google ou celui d’Amazon se présentait à l’élection présidentielle des États-Unis en se disant soudainement contre des législations de complaisances qui ont tellement profité à ses affaires ».
Rédigé par Alain Deneault, Gabriel Monette et Alexandre Sheldon avec la collaboration du professeur en droit fiscal André Lareau de l’Université Laval, le rapport du Réseau pour la justice fiscale, Paradis fiscaux : des solutions à notre portée paru en mai 2014 rappelait notamment qu’« en 2013, Statistique Canada estimait prudemment à 170 milliards de dollars les fonds placés par les multinationales dans différents paradis fiscaux. Ainsi s’explique le contexte actuel d’austérité budgétaire et de coupures perpétuelles dans les services publics ». Il établissait une série de recommandations minimales pour s’attaquer au problème de l’évitement fiscal généralisé.
Rappelons également qu’en février 2014, Alain Deneault faisait paraître l’essai Paradis fiscaux : la filière canadienne (Prix Pierre-Vadeboncoeur 2014), qui démontrait comment Le Canada a largement contribué à créer les paradis fiscaux des Caraïbes à partir des années 1950 et favorise aujourd’hui de mille manières les détenteurs de fortune et les entreprises cherchant à contourner son système fiscal et ses lois. Sous l’impulsion de personnalités politiques, de banquiers et de juristes canadiens, ces États se sont convertis en « législations de complaisance » qui comptent aujourd’hui parmi les plus redoutables du monde.
En conclusion de sa lettre, Alain Deneault appelle Pierre-Karl Péladeau à présenter rapidement des explications nettes et concrètes sur les raisons qui ont amené la multinationale qu’il a longtemps dirigée à créer offshore des entités et à y délocaliser des opérations, sans quoi « cette question le pourchassera et sa carrière politique risquera fortement de se terminer comme celle de Paul Martin ».
Pour consulter la lettre ouverte :
En lien avec le livre
Paradis fiscaux : la filière canadienne
Barbade, Caïmans, Bahamas, Nouvelle-Écosse, Ontario…
Alain Deneault
En lien avec l’auteur·e
Alain Deneault
Diplômé en philosophie, Alain Deneault est l’auteur de plusieurs essais, dont Noir Canada, Offshore, Faire l’économie de la haine, Paradis sous terre, « Gouvernance », Paradis fiscaux : la filière canadienne, Médiocratie, Une escroquerie légalisée et De quoi Total est-elle la somme ?. Depuis 2016, il est directeur de programme au Collège international de philosophie à Paris.